Décembre

Samedi 2 décembre


Désir tranquille

A y est ! les deux fauves voraces s’ébrouent dans l’espoir de lécher les ors élyséens.

De la force qui se rompt…


A ma droite, le vivace (l’agité, pour les contempteurs) qui n’en finit plus de se déclarer, comme une antienne autosuggestive. Depuis son coup de rasoir évocatoire jusqu’à la dernière trouvaille sémantique de son équipe de campagne en ébullition (en surchauffe ?), le bouffeur de racaille ne parvient pas à convaincre de son « désir d’avenir serein », mais empreint de bouleversements radicaux.
A l’ère de la
surcommunication, un slogan rabâché fera l’affaire pour maquiller les écarts inquiétants : « La rupture tranquille »… Merci à feu Fanfan Mité qui, en 1981, était allé chercher dans les fosses du publicitaire Séguéla « La force tranquille ».
Avec ce nouvel oxymoron, les ambitions de l’étalon enragé peuvent s’épanouir, au point d’engloutir les quelques voix dissonantes qui s’élèvent de son parti. Trop affûté pour être crédible en
père tranquille, il tente d’arrondir ses angulosités par ce leurre sorti tout droit du pays des merveilles politiques. Que la force rompe avec toi… cher Nicolas !

…à la diplomatie participative !


A ma… gauche (enfin, je crois), la madone aux crocs dressés cisèle sa stature internationale. Après avoir évacué d’une bourrasque consultative ses deux rivaux internes, elle persiste, au Liban, dans cette volonté farouche de s’imprégner de l’alentour pour préciser, voire nourrir son discours.
L’immaculée candidate reprochait à son principal adversaire de droite d’avoir affiché son américanisme douteux, la voilà qui tutoie la complaisance avec un mouvement terroriste dont les haines n’ont rien à envier au réseau-frère Al Qaïda. La langue de la féline a dérapé, sans aucun doute, mais à force de vouloir toujours écouter et s’inspirer des dires de l’autre, on se renie soi-même.
Son désir… de venir au palais de l’Elysée ne doit pas l’autoriser à l’incohérence diplomatique : un coup je déclare, dans l’hexagone, que l’Iran n’a pas droit au nucléaire civil, m’asseyant, avec élégance toutefois, sur les accords internationaux ; un autre coup, en pays étranger, j’accepte d’écouter les véhémences du Hezbollah et je comprends, voire je cautionne, sa haine des Etats-Unis. Attention, Madame la candidate, on ne peut pas rendre tout participatif, sinon l’âme vertueuse, dont on se drape, finira en loques interlopes.
Voilà ce court bestiaire de précampagne, en espérant que chaque prétendant à la cour républicaine soit davantage conduit par l’intérêt supérieur du pays que par la vague intérieure d’ambitions à court terme.
La France, notre France, en vaut la peine, non ?

Lundi 18 décembre, 23h
Encore une lourde semaine d’interventions à Cqfd avant quinze jours de coupure régénératrice. J’entrevois de plus en plus les limites de cette collaboration : une rémunération très médiocre, pas de perspective d’évolution et certains publics qui ne me conviennent pas. Je n’ai pas du tout l’esprit d’un éducateur social. Les quelques profils de merdeux des cités développent chez moi une haine de ces profiteurs analphabètes, imbus d’eux-mêmes et de leur désert intellectuel. Des nuisibles agressifs à évacuer pour laisser la place à ceux, bien plus nombreux, qui veulent apprendre.
Ce qui m’emmerde le plus : n’avoir que huit heures hebdomadaires d’intervention auprès des
Lieut pour, sans doute, assurer des heures auprès de groupes basiques. Le surplus des heures pour les Lieut
est confié à deux intervenantes extérieures. Dérisoires soucis au regard de la sanglante actualité internationale.
Territoires préoccupants titrait ce matin un quotidien gratuit. Belle trouvaille pour dépeindre l’absurde montée en tension entre Fatah et Hamas. Preuve flagrante de la criminelle immaturité de ces mouvements qui se revendiquent politiques. Entre le
parti de la corruption et le mouvement terroriste la symbiose du sang s’impose au son des sifflantes plombées.
Face à cette incapacité à l’alternance pacifique, comment croire à une quelconque démarche d’apaisement salutaire avec Israël. La guerre de Cent ans aura bientôt un rival de choix dans l’histoire contemporaine…
Sur mon Sony de mp3 à vingt gigas, 2 478 morceaux convertis en 13 200 octets par seconde et qui recouvrent toute ma
CDthèque
au crible de mes sélections. Le vagabondage musical prend ainsi tout son sens.

Samedi 23 décembre
La SNCF nous a généreusement accordé, à 85 euros le billet, deux strapontins dans le couloir du TGV. Bagages entassés contre l’une des portes de sortie pour entamer la tournée festive. Direction Nantes, puis Saint-Denis la Chevasse via Le Cellier, pour réveillonner, avec un jour d’avance, chez Emma et François.
Hier midi, repas arrosé dans un bar-restaurant rue Baraban, avec toute la troupe de Cqfd. La succulence des mets rivalisait avec l’orgiaque palette gustative des vins couronnée par un coteau du Layon 1990.
La trêve des confiseurs s’amorce, mais l’avant goût de la campagne aura un peu plus révélé les deux mastodontes en voie pour le second tour. La hantise du faux-pas médiatique pour le premier, l’obsession du meilleur rendu public pour la seconde, chacun, avec sa flopée de conseillers, tente le dosage idéal entre le mordant nécessaire pour écharper l’autre et la sérénité rassurante d’une carrure présidentielle.
Autour gravitent ceux qui voudraient grossir. Parmi les plus lamentables, l’extrême gauche qui a participé à gâcher l’Union européenne dans son appel au Non pour le traité, et qui est aujourd’hui incapable de s’unir autour d’un seul candidat. Sous l'apparente générosité sociale, les opportunismes écoeurent de ce coté-ci aussi.
Comme je l’avais dénoncé dès la campagne contre cette
constitution européenne, sitôt le scrutin passé, aucun projet crédible de remplacement n’a été proposé, la faisabilité d’un tel Plan B
supposant un poids politique minimum. A entendre les fadaises des Buffet, Besancenot, Laguiller et autres, on se désespère un peu plus sur le coche loupé de ce 29 mai 2005.
Le penseur Umberto Eco égrène les travers des comportements sociopolitiques dans son A reculons… comme une écrevisse. Ses démonstrations coulent de source, d’une implacable rhétorique comme celle qui stigmatise brillamment. La volonté hégémonique n’est pas l’apanage des autocraties. Gâtés ! De toutes parts les cadeaux affluent. L’essai de mon Sheaffer n’est pas concluant : encre faiblarde, problème manifeste de débit. Le type de papier serait-il incompatible avec la plume.
Tentative de reprise. Pour moi : un casque
Koss qui allie discrétion et haute qualité sonore ; une imprimante-photocopieur-scanner Tout-en-Un
qui me fait sortir de l’âge de Cro-Magnon de l’impression privée ; des victuailles arlésiennes et deux bouteilles sur un plateau de bois ès Richard.
Quelques échanges vigoureux entre Richard et le reste de la tablée sur le sempiternel sujet de l’automobile. Pour une fois, je suis resté à l’écart de la polémique, oreilles enveloppées de mon
Koss
, vagabondant entre les 4278 airs contenus par le glouton mp3. Vraie maison à vivre que celle d’Emma et François : ampleur des pièces (y compris les chambres), des coins et recoins pour démultiplier les convivialités et les passages discrets.
L’année 2007 à portée de festivités et pourtant peu de réjouissances se profilent à l’échelle planétaire. Quelques zones confirment l’extrême barbarie possible de l’humanité lorsque l’Etat de droit (ou, plus brutalement, autocratique) s’est effondré. Aucune place aux utopies généreuses dans les chaos entretenus par les sanguinaires opportunistes.

A toi, ma grand-mère
Dimanche 24 décembre
Assombrissement des festivités familiales : maman m’informe par téléphone que grand-mère vient, une troisième fois, à 94 ans, de se casser le col du fémur. Transportée dans une clinique de Béziers, elle devra souffrir jusqu’à mardi, pour cause de Noël amorcé, avant d’être opérée. Bien sûr le programme à Saint-Crépin risque d’être annulé si décision est prise de rallier Fontès en catastrophe suite à la dégradation subite de son état ou à un mauvais déroulement de l’opération.
Malgré son âge canonique, je n’imagine pas, affectivement, ne plus l’avoir
présente, vivante, dans un coin chaud de mon cœur. Je songe à son existence démesurée : mes années vécues totalisent entre un tiers et une moitié de son parcours. Quoi de plus normal pour elle, pourrait-on penser, qu’une fin proche : le lien du cœur ne peut se résoudre à ces approches froidement rationnelles. La Camarde ne sera jamais la bienvenue, jusqu’au bout nous la repousserons…
Sur les envolées de
I Still Haven’t Found What I’m Looking For, dans la banquette du Cellier, je me laisse submerger par l’émotion d’une sérénité oppressée par la souffrance d’un proche… Avec le lancinant I Forgot de Richie, les sens se tendent vers ces myriades d’instants partagés avec ma grand-mère, adorable pour moi. Le temps vous impose son rythme, ses impondérables, ses bouleversements, ses catastrophes… Ainsi, hier, a eu lieu un carambolage impliquant quelque deux cents véhicules sur une autoroute vers Bordeaux : pas de cadavre, mais quatre-vingts blessés et des centaines (voire des milliers) d’existences plongées dans le drame d’un Noël gâché ou hypothéqué. Chaque véhicule (la plupart tout au moins) devait acheminer des vacanciers vers leur chaleureuse destination : corps déchirés, taules fracassées, bagages défoncés, psychologie traumatisée… Un temps suspendu, recroquevillé sur ces infernales attentes de l’après accident.
Les parents B sont partis à la messe de minuit avancée à vingt heures, ma BB et Louise discutent dans la cuisine, Richard doit se reposer en bas… et moi je me laisse bercer par la lecture aléatoire de mon mp3. Pas très créatives ces lignes pour achever de
Manus XIV… L’apparentement au remplissage, désabusé par ce triste sort…
Dans l’attente d’un nouvel apéritif à partager, quelques pensées à ceux perdus de contact, disparus à jamais, en survie dans nos mémoires à durée déterminée… Calme dans cette maisonnée, l’angoisse métaphysique peut surgir, étreindre les parcelles de vie jusqu’à étouffer toute excroissance jubilatoire… Bras croisés, tête dans le trou noir.

Lundi 25 décembre
Un lever à 12h25 ! Voilà de la prolongation de
grasse sans complexe.
A mon tour, au dîner, de bretter à coups d’arguments avec Richard. Le sujet qui nous divise : le rejet du traité constitutionnel. Rien pour s’étriper au poignard, mais suffisamment pour quelques éclats vocaux bien placés. Mon point de départ de la polémique : l’impossible union des partisans de gauche du Non : Fabius a rabattu sa coulpe après sa déculottée contre Royal, Besancenot se focalise sur son petit terrain électoral à cultiver, Buffet s’affiche comme la fervente partisane du candidat antilibéral unique… si c’est elle qui l’incarne… que du quant-à-soi bien loin des grandes tirades prometteuses d’un vrai nouveau départ pour l’Europe autour d’un puissant mouvement initié par cette gauche hétéroclite, mais consciente des enjeux fédérateurs. La malhonnête clique n’aurait d’ailleurs jamais remporté la mise sans l’appoint déterminant des voix des Le Pen et de Villiers…
Si ce n’est pas de l’alliance fumeuse de fait, préfiguratrice de l’implosion inéluctable de ce mouvement factice, je ne vois pas de quoi cela relève. Un bien rude coup pour la construction européenne que tous ces tocards opportunistes n’ont même pas la décence et la dignité de compenser par un début d’amorce de perspective. Rien ! Nib ! Ce qui leur importe, c’est leur bichonnée carrière nationale.
Sans réforme urgente, les bientôt vingt-sept membres vont ankyloser la machine institutionnelle… Et nous, Français, pourrons toujours rêver à insuffler un nouveau projet pour l’UE. Le cul-de-basse-fosse, pour ces hexagonaux déprimants !
L’échange verbal s’est achevé sur une pointe de consensus possible, à l’échelle virtuelle : peut-être que si je l’avais rencontré avant la consultation référendaire, il aurait pu se laisser convaincre par un Oui… de raison. Il nous restera les bribes d’un débat national passionnant, si les partisans du Non n’avaient pas déféqué sur leurs chevaleresques promesses.

Mardi 26 décembre

Jacquard, dans
Mon utopie, explore les possibles d’une humanité mise en danger par elle-même. Les accroches positives restent congrues. La dérive militaro-atomique n’a pas flanché avec la fin de la guerre froide : la France a ainsi élargi sa doctrine de la dissuasion à la sphère terroriste. Un non sens stratégique lorsqu’on analyse un minimum la démarche des kamikazes, leur non considération de leur propre vie et le caractère larvé, en réseaux plus ou moins connectés, de ces mouvances barbares. Quelle totale inadaptation que brandir la grosse Bertha H. Cela pourrait même inciter certains intégristes terroristes à ensanglanter une puissance.

11h15. Jean vient de m’appeler : grand-mère est morte, emportée par une embolie à la fin de son opération. Nous descendons jeudi à Fontès pour rejoindre maman et Jean, et peut-être Jim et Aurélia.
Certes son grand âge rend
logique cette fin, mais sa fraîcheur intellectuelle aurait mérité quelque sursis de la Camarde… Une peine diffuse m’envahit…
J’ai tenu à prévenir Heïm de cette disparition. Il était attaché à cette figure rencontrée à l’âge de vingt ans, belle comme le jour et au caractère intraitable, mais au fond généreux.
Avec moi, l’affection a été totale jusqu’au bout ; elle m’a soutenu quels que soient mes choix. Elle n’aura pas connu de bambins de la part des trois Decrauze.
Emportée au néant, mais vivante dans nos pensées, son sourire, ses yeux malicieux toujours là pour apaiser nos tourments d’adultes en devenir. Combien de fois l’ai-je évoquée dans ces pages ? Pas assez au regard de ce que j’aurais pu détailler comme ressenti…
Et voilà la commune de Fontès qui va disparaître de mes points d’ancrage… Plus que des gens aimés disparus qui peuplent son cimetière en cortège insupportable, renvoyant à notre intolérable finitude. Mes adorés Denise et Jacques, formidables grand-tante et grand-oncle toujours chaleureux avec moi, mon bougon mais si attachant grand-père dont je revois la nuque solide alors qu’il conduisait, dont le visage affichait l’intégrité, dont la présence impressionnait mes jeunes années. Ce grand-père partit trop tôt, laissant ma grand-mère à cette foultitude de moments partagés, condamnée à la solitude, malgré le passage régulier de ses enfants et petits-enfants.
Ma douce, tendre et adorée grand-mère… comment puis-je te rendre hommage ? Par ce que je sais le moins mal faire : écrire pour atténuer le manque. Me voilà orphelin dans cette dimension : je n’ai plus de grands-parents. Première marche vers sa propre fin… L’inéluctable angoisse de passer le relais, de ruminer sa nostalgie, d’accrocher insuffisamment la densité de l’instant pour tendre à le « sur-vivre ».
Se laisser submerger par ce qui nous reste du meilleur de l’être aimé que
l’on regrette de n’avoir pas vu davantage. Ma tendre et adorée grand-mère serrée contre moi pour la dernière fois au printemps : battante, elle remarchait avec son déambulateur, se forçant à cet effort quotidien qui entretenait sa dignité humaine. Toujours coquette, des escarpins aux pieds, quitte à souffrir à chaque pas, pour ne pas céder à la confortable facilité de grosses Nike ou assimilés.
Invraisemblable et absurde pour le commun de mes contemporains, elle était tout entière dans cet acharnement archaïque : point de culte du
carpe diem, mais un attachement forcené à son paraître qui allait bien au-delà d’une banale question d’apparence. C’est toute une philosophie de l’effort existentiel qui transparaissait chez elle, comme une vigie urticante pour se rappeler de l’attention constante qu’on doit avoir à se détacher de nos penchants barbares, ceux qui font ressembler certains coins de notre planète à des aires sanglantes. Ses escarpins combattaient cette tendance si absorbante au laisser-faire, à l’aune de ses instincts. Son visage respirait ce combat sur elle-même qui, malgré sa place de quasi doyenne de La Providence (sa maison de retraite), tranchait sur la plupart des occupants.
Ma princesse-grand-mère avait toute la conscience d’elle-même, n’hésitant jamais à amplifier son désagrément d’être un « poids » pour nous dans telle ou telle situation, ce qu’elle n’a bien sûr jamais été. Ses tendres râlages la mettaient à des années-lumière de la vieillesse impotente qui ne donne plus l’illusion que par ce que la personne a été…
Ma grand-mère a été elle-même à chaque instant, totalement en emprise sur le présent, d’une capacité à être par sa tête qui aurait pu faire passer pour de vagues légumes nombre de plus, beaucoup plus jeunes…
Ma grand-mère, à embrasser de tout mon amour, n’est plus, et je tourneboule mes souvenirs sans savoir par quelle facette les aborder. Ne sachant résumer en quelques malheureuses pages, et ne possédant pas une mémoire du détail factuel, je me résous à l’essentiel : lui adresser, par delà son récent départ, mes plus chaudes et reconnaissantes pensées pour la belle et fabuleuse grand-mère qu’elle n’a jamais cessé d’être.
Chacun à sa peine, certaines plus denses par la proximité filiale, nos hommages vont se concentrer sur ces quelques jours d’entre-deux fêtes : son fils, ses deux filles, ses petits-enfants, ses amis du villages, la tendresse pour ce sacré bout de bonne femme… je ne veux songer à l’après enterrement et à la gestion des questions matérielles ; je n’ai aucun rôle dans ce domaine, mais je compte sur l’exemplarité de ses enfants pour que cela s’aborde et se décide dans la correction.
L’instant festif pourrait apparaître comme le pire moment pour vivre un deuil, mais il m’offre au contraire le retrait possible au recueillement que n’auraient pu m’assurer les impératifs professionnels. Je me laisse glisser vers d’affectives contrées en concentrant tout mon être, sans parasitage décalé. Tout de même, il me faut me relier aux convives présents.
Avec Sting en modulés de la Renaissance, je me replonge dans ce révolu pour prolonger un peu ces instants à honorer.

Raviver comme une dernière luminescence de ce qu’il nous faut de facto abandonner… Ce village de l’Hérault n’aura plus pour moi, désormais, que la saveur oppressante de la vie perdue, de ses mélancolies éperdues, d’une fin toujours trop vite imposée.
Vagabonder sur les airs insatisfaits de l’ombrageux de Palmas ne m’incline pas à sortir de mes ruminations lancinantes. La soirée conviviale ne peut occulter cette carence diffuse qui me serre la gorge…
I deserve it de Madonna se fond dans l’ambiance morose qui me tenaille. Impossible de maintenir ma convivialité très longtemps.
Aqualung et son
Strange et Beautiful parachève le lien grave qui me pousse au retrait… Fontès m’apparaît plus triste que jamais, plongée dans le raidissement cadavérique…
Les majestueux cyprès de l’antique cimetière qui jouxte l’église vont accueillir la Versaillaise qui s’imposa à cette population fermée, méfiante à l’égard de l’étranger. Elle s’est faite accepter, avec ses manières, et détester par quelques bégueules farcies de principes… Une urbaine débarquée dans ce trou à rats pour épouser le B, c’est forcément la démarche d’une intéressée… Elle a survécu à ces médisances et a fait reconnaître son intègre indifférence… Elle n’aura jamais l’accent du Sud, et ne se résoudra jamais à renier ses racines parisiennes, confiant même un regret de n’être pas retournée dans ces contrées avant le sort fatal.
Je viens de relire les quelques pages rédigées début mai, lors de notre
dernier passage de son vivant : toute l’émotion des adieux en germe transpire de ces lignes. Facile de préfigurer le décès d’une vénérable, mais l’impact de ces propos résonne d’autant plus le drame arrivé. Comme un avant-goût ému de cette fin qui me laisse sur la berge…
Renouer avec le ressort vital grâce au
Beautiful Day des échevelés U2. Soulever ma grand-mère et la serrer contre mon cœur dans un joyeux tournoiement… La faire éclater de rire jusqu’aux larmes purgatives, qu’elle en oublie la pesanteur de son âge… Elevation du même groupe déjanté abonde à l’instant dans ma projection posthume.
Que ma grand-mère repose en paix, je la ferai s’élever vers les cimes enthousiasmantes d’une affection partagée, d’une confiance renouvelée. Je te dédie cette vivacité musicale, ma chère grand-mère.

Mercredi 27 décembre
10h40. Voix d’outre-tombe de maman qui m’appelle depuis Fontès pour m’informer que l’enterrement aura lieu vendredi matin. Elle me précise que le coucher sera « spartiate » car « tout le monde est là ».

20h. Ce soir, sobriété pour moi, car les aigreurs d’estomac se renouvellent. Ce matin, dégustation chez des voisins-amis des B de plusieurs bouteilles fameuses (entre des vins d’Anjou et des whiskies rares). Un coteau du Layon 97 a notamment mobilisé toutes mes papilles : parfum, sucre, profondeur, saveur d’exception. La plus grande année pour ce type de vin d’après notre hôte connaisseur.
Dès demain matin, levé de camp pour un long parcours routiers : Jean devrait nous récupérer à Béziers. Sombres retrouvailles d’entre-deux fêtes avant l’adieu ultime de vendredi matin.
Je me sens bien vide ce soir, comme un
stand bye nécessaire pour ne pas déprimer. Ma très chère Elo, qui a aussi perdu sa grand-mère, il y a quelques mois, m’a adressé d’affectifs textos après que je l’ai informée de cette triste nouvelle.
Je crois devoir lâcher mon Sheaffer, dont je viens de trouver l’inclinaison pour une glisse bien encrée, sous peine de stagner dans la redite.
Ces quelques journées auront la densité émotionnelle requerrant quelques traces sur petits carreaux.
22h20. Je dois confesser que les conversations autour de la pré maternité et de la maternité m’emmerdent. Cruel et inavouable sentiment, totalement antisocial, mais je n’ai pas repris la plume pour faire l’hypocrite.
Avec la sœur de BB enceinte, les sujets reviennent bien normalement vers cet événement familial. J’avoue me sentir étranger à tout cela… cœur de pierre sans doute, à la manière d’un Léautaud, mais incapable de forcer ma nature à faire semblant. Ce soir les clichés du fœtus ont été montrés : pas un brin mon univers. Je suis resté en retrait, silencieux… comme je le pratique dès que je me sens en décalage. Pas l’once d’un ressentiment de ma part, juste l’exacerbation d’une indifférence bienveillante.
Peut-être aussi que je supporte de moins en moins les non-dits interrogatifs qui voudraient comprendre pourquoi je n’ai toujours pas mis enceinte BB, voire même pourquoi je lui hypothèque sa maternité potentielle… en mars 2007 elle aura quarante ans !
J’ai dit, depuis le début de notre relation, n’avoir pas de goût effréné pour l’enfantement. Si un doit venir, je ne l’empêcherais pas, mais je ne le chercherai pas à tout prix. C’est ainsi, et ce n’est pas la multiplication des grossesses alentour qui vont modifier mon optique. Je suis ainsi : qu’on me laisse si l’on ne peut tolérer cette posture.

Vendredi 29 décembre
Moments intenses pour cet enterrement : d’abord la vue du corps de grand-mère le jeudi soir, puis ce matin avant la mise en bière. Sérénité troublante de ce corps sans vie, je ne pouvais détacher mon regard de son visage et de ses mains fines croisées.
Le moment des larmes aux yeux, ce matin, m’a décidé à l’embrasser sur le front puis à respirer un instant l’air extérieur.

Après ce moment, nous suivons le corbillard jusqu’à l’église. A l’exception de Bruce, toute la famille proche est là : ses enfants (Paul, Béatrice et maman), ses petits-enfants (Michelle, Serge venu spécialement de Norvège, Aurore, Bertrand, Nathalie, Jim et moi) et même Pierre P. (fils de Denise), son épouse Line, et Mona, l’ex compagne de Paul. Chacun avec son compagnon ou sa compagne, comme un essentiel soutien.
Sur le trajet, les pas s’alourdissent en repensant à cet être cher que nous ne reverrons plus. La majestueuse église se profilant, je passe mon regard de l’arrière du corbillard motorisé à l’édifice imposant et à son cimetière de cyprès démesurés.
Sitôt arrivé, le cercueil est religieusement accueilli par le prêtre avant le déroulement de la cérémonie. Une cinquantaine de Fontésols sont présents en plus de la famille. Interventions du prêtre avec une place privilégiée accordée à la Vierge Marie que ma grand-mère vénérait tant ; lecture à trois voix (Aurore, Serge et moi) du poème Le bouquet de grand-mère que nous lui avions offert dans un cadre pour ses 90 ans ; lecture d’une évangile par Paul et sa compagne Liliane.
Au cimetière, avant la mise en terre dans la caveau Coste-
Bessière, petite intervention du prêtre et lecture de mon hommage en version écourtée qui a été largement apprécié, au point d’être félicité par Paul qui m’a assuré que j’avais transmis ce que chacun éprouve et que mon portrait (psychologique) touchait juste.
Une belle cérémonie, dans l’émotion contenue mais à fleur d’yeux que grand-mère aurait profondément appréciée.

Samedi 30 décembre
Nous repartons ce soir pour Lyon. Ce moment consensuel aura permis la réconciliation des trois enfants (Paul d’un côté, maman et Béatrice de l’autre) : il faut espérer que la gestion de la succession confirme cette communion d’intérêts.

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